NewsLinuxFr > Comment taxer les acteurs du e-commerce ? - [
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scoop
Cette dépêche est tirée du
journal de SQP.
Une discussion intéressante a eu lieu mercredi 21 juillet lors de la commission parlementaire :
.
Pourquoi parler de ça ?
Parce que c'est un sujet qui concerne sûrement pas mal de monde à différents niveaux : contribuable, client, ou fournisseur de services.
La question est assez importante puisqu'il s'agit de savoir quelle peut être la position de l'état pour récupérer sa part dans les nouveaux modes de transaction apparus avec Internet. Le problème est que si tout le monde est d'accord sur le principe de base qu'il est normal d'avoir des taxes pour participer au fonctionnement des services publics, chacun a de bons arguments à faire valoir sur ce qu'il possible ou non de taxer.
liens
Journal à l'origine de la dépêche [fr]
http://linuxfr.org/~SQP/29974.html
La vidéo sur Public Sénat [fr]
http://www.publicsenat.fr/vod/seance/commission-impact-sur-les-finances-de-l-etat-du-developpement-du-e-commerce/65400
2ème partie
La réunion de 2h30 a convié quelques répresentants d'entreprises liées à internet à venir discuter d'un nouveau rapport sur les problèmes de fiscalité qui peuvent découler des évolutions de comportement engendrés par le réseau mondial.
Les échanges ont été intéréssants, avec beaucoup d'intervenants de grande qualité, à commencer par le élus qui ont mené les débats :
Jean Arthuis - Député (Alliance centriste) - Président de la commission des finances
Philippe Mariny - Sénateur (UMP) - Rapporteur général de la commission des finances
Le E-commerce représente 3,4% du commerce français actuel (et devrait doubler dans 4 ans), avec comme acteur phare la vente de services de tourisme.
Mais ce nouveau secteur pose des problèmes au fisc (et donc au législateur) pour plusieurs raisons : <ul><li>Impôt sur les sociétés faible car les bénéfices sont faibles en raison de (je reprend leurs termes) marges faibles (exemple la musique en ligne... va comprendre) dues à une zone de chalandise unique qui entraîne une concentration des acteurs sur des marchés de masse et une course aux parts de marché.
</li><li>La possibilité pour le consommateur d'aller passer commande facilement dans un pays étranger.
</li><li>La possibilité pour les vendeurs de s'implanter fiscalement ou ils veulent.
</li><li>Il existe une taxe (la TASCOM) qui s'applique aux surfaces de vente physiques, mais n'a pas d'équivalent pour les boutiques en ligne (problème possible de manque à gagner et d'égalité entre acteurs physiques et virtuels)</li></ul>Puis le rapporteur général fait l'analyse de l'étude du jour sur les chiffres liés au commerce électronique en France et en Europe.
Les graphiques sont parlants : L'évasion fiscale touche les gros pays européens, pour profiter principalement à l'Irlande et au Luxembourg (16"20)
L'explication qui nous en est faite est que pour le moment, la TVA est versée dans le pays ou est domiciliée l'entreprise, mais cette règle va changer en 2015 (progressivement jusqu'en 2019, si j'ai bien compris, peuvent jamais faire un truc simple) pour être versée au pays de l'acheteur.
L'autre problème concerne l'impôt sur les sociétés. Un exemple est montré avec le groupe Amazon (23"00), et son chiffre d'affaire français estimé à 930 M€ mais qui n'en déclare que 25 M€ en France pour la partie logistique.
Il fait ensuite une petite synthèse des premières questions soulevées par l'étude : <ul><li>Quelle autre solution que l'harmonisation fiscale européenne pour éviter le dumping généralisé en Europe ?
</li><li>Faut il une fiscalité spécifique au commerce électronique ? (ex, les USA ont supprimé la taxe sur le e-commerce)
</li><li>Est-il possible de trouver un équilibre entre la dynamique de cette branche d'activité et l'intérêt immédiats (il se reprend en insistant) des services publics ?
</li><li>Comment intégrer le facteur technologique dans la définition des assiettes ?
</li><li>Comment localiser ou territorialiser le consommateur ?
</li><li>Faut-il adapter les assiettes des impôts existants ?
</li><li>Faut-il créer des taxes spécifiques aux activités dématérialisées ?</li></ul>
Marie-Christine Lepetit - Directrice de la législation fiscale (DLF)
- TVA : Il peut exister des distorsions entre différents taux suivant le moyen physique ou virtuel pour certains biens ou services (elle cite comme exemple la culture) que le consommateur ne comprend pas et qui vont potentiellement poser des problèmes avec l'harmonisation prévue pour 2015.
Elle insiste sur le fait que ce système de répartition de la TVA ne devra pas se suffire à lui même mais être bien contrôlé, pour maintenir la confiance entre les administrations fiscales partenaires.
Impôts société : le principe dit que le revenu généré sur un territoire doit être taxé sur ce territoire, ce qui est problématique dans un cadre dématérialisé.
Selon son analyse, les règles internationales ne permettent pas de rattacher de manière loyale un revenu lié à un chiffre d'affaire fait sur place
Donc, elle explore deux voies où il faudrait soit changer les règles internationales pour permettre une meilleure répartition, soit trouver un moyen de taxer le chiffre d'affaire plutôt que le bénéfice (et donc mettre une taxe qui serait plutôt au niveau du consommateur pour plus de simplicité, en gros une nouvelle TVA)
Maïté Gabet - Chef du bureau "Contrôle fiscal international" à la direction générale des finances publiques (DGFIP)
Elle se focalise sur la capacité de recouvrement et de contrôle de l'impôt, principalement dans le B2C (Entreprises vers Consommateurs). Pour l'impôt sur les sociétés, il y a une communication entre les différentes administrations fiscales, mais les différences de langues et de réglementations compliquent et ralentissent les opérations de recouvrement et de contrôle.
Elle ouvre la grande question de la façon de taxer les services effectivement rendus dans un pays, en expliquant que ce n'est pas facile à définir quand le client est dans un pays A, l'entreprise dans un pays B, et les serveurs qui fournissent le service dans un pays C. Elle conclut ce chapitre en disant que vu que ce problème est le même pour nos partenaires et que nous sommes liés par plus de 100 traités, qu'il faut absolument revenir sur ce sujet lors de nouveaux accords internationaux ou au moins européens.
François Momboisse et Marc Lolivier - Fédération du e-commerce et de vente à distance (FEVAD)
La FEVAD existe depuis 50 ans à l'initiative des acteurs de VPC de l'époque (la redoute, 3 suisses...), et qui maintenant représente aussi les nouveaux acteurs du e-commerce : les entreprises spécialisées (pixmania, cdiscount...) et les gros distributeurs classiques qui ont aussi monté leur site (fnac, carrefour...)
Il commence par rappeler qu'il n'est plus possible de dire que le e-commerce détruit des emplois, il y a actuellement 60 000 entreprises de VPC en France avec beaucoup de créations des petites entreprises, 24,5 millions de clients (2/3 des internautes, 45% des français), 25 milliards d'euros de chiffre d'affaire, , pas de problèmes de travail le dimanche (67"30 : <i>à part deux informaticiens de garde dans les sites</i>. sic!)
Il remet une couche sur l'écart fiscal avec le Luxembourg : 3% de droits d'auteur et 15% de TVA, alors que les sites de commerce jouent le jeu en s'installant principalement dans leur pays d'origine et en respectent les réglementations. Il ajoute qu'on <i>ne peux pas en vouloir aux sites extra communautaires qui profitent des trous dans la raquette européenne</i>.
Il plaide ensuite pour une harmonie de réglementation de taxation entre les ventes en ligne et en magasins pour simplifier les calculs et éviter des déviations d'usages possibles pour contourner.
Son collègue montre l'exemple de la copie privée et du pack de DVD à 10€ au Luxembourg et 70€ en France qui génère un marché gris d'un milliard d'euros (40% du total) qui pourrait rapporter 200M€ de TVA et 130M de marge en plus à déclarer pour des entreprises françaises.
Je vous cite la réponse du président Jean Arthuis qui fait preuve d'une superbe lucidité (77"15) :
<cite>Sur ce point une interruption si vous permettez puisque vous citez un exemple extrêmement intéressant : Est-ce-que ça ne démontre pas aussi la force excessive d'un lobby. Je veux dire, si le droit d'auteur est à ce niveau en France, c'est parce que les auteurs se défendent bien, et parce qu'ils se sont dotés d'un outil lourd et coûteux qu'est la SACEM, qu'il faut bien faire vivre.
Alors est-ce-que ce n'est pas une démonstration de l'efficacité et des effets pervers du lobbying</cite>
Il esquive à moitié la question en se déclarant représentant d'un autre lobby, mais montre des exemples de pays ayant baissé les droits d'auteurs à qui ca a profité, et explique que baisser les taxes permettrait d'augmenter les ventes et pourraient peut être faire gagner plus à la SACEM.
Là, on se rend compte que la taxe sur la copie privée ne s'applique bien que sur les ventes faites en France. (bien joué Mme Tasca, c'était bien la peine de nous faire chier avec une loi injuste et même pas finie)
Il s'appuie sur cet exemple emblématique pour montrer la réaction du consommateur qui s'adapte et fait jouer la concurrence, et essayer de faire réfléchir le législateur sur les fuites potentielles de chiffre d'affaire pour les vendeurs français en cas de taxe qui les défavoriserait. (par contre le législateur s'adapte aussi, et ça n'a pas l'air d'être tombé dans l'oreille d'un sourd, au moins il fait bien son taf)
Il rappelle enfin que le e-commerce génère un gros chiffre d'affaire et d'emplois non délocalisable dans les services de livraison, et qu'il reste une énorme différence entre les ventes physiques et en ligne avec le délai de rétractation de 7 jours qui fait monter les taux de retours.
Guiseppe de Martino - Président de l'association des services Internet communautaires (ASIC) - Directeur juridique et réglementaire monde de Dailymotion
Il commence (84"45) par insister sur son premier titre en ironisant sur le fait que la France est le seul pays ou les entreprises de services Internet ont du se liguer pour résister à un certain nombre d'attaques régulières de la part des politiques :
- la net neutralité
- sommes nous éditeurs ou hébergeurs
- propositions de taxe sur cette industrie du web au profit d'autres industries : audiovisuel public, création musicale, création audiovisuelle, et cite l'exemple de la marine à vapeur qui devrait financer la marine à voile
En tant que dailymotion, il se déclare content d'être montré comme l'un des quelques exemples qui sont cités d'entreprises représentant la France sur Internet, mais qui au vu de sa fragilité financière serait mécontent d'avoir à se délocaliser pour contrer une éventuelle taxe sur la publicité qui plomberait leurs faibles marges.
Il associe à son combat les opérateurs de VOD qui si ils étaient soumis à une taxe de 26% de leur CA (projet de loi prévu) plomberait toutes leurs chances de lutte contre la contrefaçon, avant d'en remettre une couche sur les gros lobbys (91"30) :
<cite>C'est les bébés qui pleurent le plus fort qu'on nourrit les premiers. Nous, nous sommes jeunes, nous n'avons peut-être pas eu l'habitude de pleurer, on va essayer de le faire un peu mieux, on a de très bons exemples en France</cite>
Les législateurs reprennent la main et rappellent que le but de la commission est quand même de faire rentrer de l'argent dans les caisses, et qu'il vaudrait mieux le faire vite. Écartant la question des diverses taxes, ils se focalisent sur le dernier point sorti : la taxation de la publicité, et l'écart de traitement entre les marchés virtuels ou non.
(sur ce point la je crois qu'ils devront y revenir pendant un bon moment, leur interlocuteur leur rappelant qu'un service totalement virtuel ca va très vite à délocaliser)
Je reprend deux de ses phrases que j'aimerais que les politiques méditent :
<i>Nous sommes le vivier de la création numérique, de tout ce que pourrait représenter une économie dynamique demain. Le train du numérique a démarré et la France n'a aucun intérêt à le rater.</i>
Yohan Ruso - Directeur général d'eBay France
Fort de 15 millions de membres et avec un discours très travaillé pour prêcher pour son activité un peu en décalage avec les précédents : ils fournissent un service qui permet à d'autres d'acheter et vendre (les enchères = 40% CA seulement).
Ce service permet à beaucoup de petits vendeurs de s'installer et de créer de l'activité, ou du complément d'activité (petit magasin qui se complète par une boutique virtuelle) partout en France
Ils ont 80k professionnels recensés, dont 25% qui ont déclaré qu'eBay leur avait permit de s'installer (moyenne 2,3 salariés en Allemagne, sondage France en cours)
Avant de se faire troller sur leur implantation, il déclare qu'ils se sont installés là où leur partenaire financier
PayPal? a reçu son autorisation bancaire en premier (et donc s'était implanté), le Luxembourg.
Il remet une couche en précisant qu'entre 2002 et 2007, ils ont payé la TVA en France, mais depuis qu'ils se sont établi en Europe, ils sont rattachés au Luxembourg, on obtient un bel exemple du premier problème abordé.
Petite question intéressante du rapporteur pour savoir si et comment sont vérifiés la validité des informations affichées sur ces offres professionnelles, qui est un peu détournée avec les arguments que les transactions sont garanties, qu'on a plus de retours sur la qualité du vendeur avec le système d'évaluations, et que c'est eBay qui a le plus à souffrir au niveau image en cas de problème.
Et de conclure qu'ils se plieront à toutes nouvelles règles applicables au niveau fiscal ou autre.
Olivier Esper et Yoram Elkaïm - Google France
Google, à propos de sa taxation, explique que bien sans y être obligé, a choisi d'implanter un centre Européen en Irlande avec plus de 1500 personnes, et plus 200 en France pour les services juridiques, et de réprésentation (lobbying).
La discussion va se concentrer sur le service de publicité (qu'ils appelent liens sponsorisés), et la concurrence avec les acteurs traditionnels du secteur (qui sont imposés).
Une partie de son argumentaire, est basé sur l'accès d'un grand nombre de nouveaux petits acteurs à cette publicité, et qui donc "élargissent le gâteau". De la même façon que eBay, cela permet à de nouveaux petits acteurs de faire connaitre et d'investir des marchés de niche.
Il explique aussi qu'il faut du temps pour que les nouveaux internautes prennent confiance dans l'outil et se mettent vraiment au e-commerce, et qu'il reste donc un grand nombre de futurs clients pour élargir le marché, et que ce n'est pas le meilleur moment pour l'étouffer. (j'ai eu limite l'impression qu'il plaidait plus pour dailymotion que pour lui même sur ce coup)
Le président demande alors confirmation que le marché de la publicité est un marché B2B, et effectivement, ça ne pose pas de problèmes de TVA
Reste donc la question de la régulation et la taxation du marché publicitaire, et la régulation du marché des médias
Le président note que de toute façon, une taxe sur la publicité sera finalement payée par le consommateur.
Et la réunion se conclut sur quelques traits d'humour des deux législateurs qui vantent la qualité de la valeur ajoutée française en matière de lobbying qui vient un peu féliciter la qualité des interventions, avant de revenir sur un beau troll :
<cite>Le président : On a vu par exemple que le droit à la copie qui est une très belle idée pour protéger le monde de la création en France entraîne du fait de la globalisation des déviances de commerce et on peut se demander parfois si on ne se tire pas une balle dans le pied
quelqu'un répond et il répète : tant qu'on ne la tire pas dans la tête c'est très bien</cite>
Constat personnel : Chaque discours des intervenants du secteur est venu compléter et renforcer les interventions précédentes et la difficulté de taxer des acteurs qui sont en concurrence avec d'autres obéissant à d'autres règles fiscales plus légères. Les 2 géants américains se savaient attendus au tournant, mais se sont montrés très propres sur tous les points abordés.
Sensibilisé depuis longtemps sur ces problématiques et les réponses législatives catastrophiques pour la plupart, j'ai particulièrement apprécié le représentant de l'ASIC et son petit résumé sur le sujet.
Globalement, tous les intervenants ont très bien abordé les enjeux et contraintes liées à leurs activités respectives, et je suis plutôt content de voir que nous avons des professionnels de poids (en CA et en emplois), et qu'ils savent très bien se représenter et expliquer leurs métiers aux politique. Reste à savoir si ceux ci voudront bien les entendre.